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Des rêves révélateurs

Angélique habite Valfroicourt-les-bois, un village de neuf cent cinquante personnes, perdu dans la campagne, composé d'environ deux cent cinquante maisons grisâtres presque identiques, serrées les unes contre les autres. Le centre du village n'est composé que d'une petite épicerie boulangerie et d'une école primaire et maternelle, ancien bâtiment à côté duquel se dresse une église romane.  
La maison d'Angélique, comme presque toutes celles du villages, est une bâtisse de couleur grise aux volets rouges dont la peinture est écaillée, mitoyenne de l'épicerie, rue de l'église. L'intérieur est assez rustique, plutôt modeste; la chambre de la fillette est au premier étage, c'est une pièce de petite taille, propre et bien tenue. Une fois la porte en bois ouverte, à notre droite, se dresse une armoire où Angélique range ses habits, toujours parfaitement pliés, à côté de laquelle est installé un bureau en chêne éclairé par la lumiére d'une fenêtre. Le sol est recouvert d'une fine moquette bleu ciel qui égaye la pièce. Dans la partie gauche de la chambre se trouvent le lit et la table de chevet où on aperçoit un calepin blanc fermé par un cadenas.  
Le matin, la petite fille se lève à huit heures moins le quart, descend déjeuner, fait sa toilette s'habille et va à l'école. Après la classe elle rentre à la maison sans oublier de passer à la boulangerie pour acheter deux baguettes. L'après-midi, Angélique retourne à l'école où elle retrouve ses camarades pour trois heures bien remplies. Comme chaque jour, elle rentre chez elle vers 16h30, accompagnée de quelques amis par rapport auxquels elle semble petite: en effet, à neuf ans Angélique est en CM1 grâce à une année d'avance.  
Ce jour là, elle marchait d'un pas rapide et joyeux, bavardant et riant avec sa meilleur amie, Juliette. Ses cheveux blonds, noués en nattes, encadraient son visage étrangement blême. Son teint livide contrastait avec ses magnifiques yeux bleus et quelques taches de rousseur. Elle portait, comme elle le faisait souvent, une jupe plissée à carreaux écossais rouges et noirs, avec un chemisier blanc à col brodé, impeccablement repassé. Dès son retour, après avoir étudié ses leçons, Angélique avait l'habitude de se plonger dans son encyclopédie favorite, si grande était son envie de tout savoir et de rester la première à l'école.  
Pourtant, cet après midi-là, lorsqu'elle arriva dans sa chambre, elle se dirigea vers son bureau pour étudier, mais Angélique n'arrivait pas à se concentrer, car elle pensait à Victor et à cette insupportable Lucie. En effet, elle aimait Victor, mais lui était plutôt attiré par sa "rivale". L'esprit préoccupé et le coeur lourd, elle finit quand-même ses devoirs, mais renonça à sa lecture habituelle de l'encyclopédie pour se consacrer à l'écriture de son journal intime.  
Le jour suivant, elle rentra chez elle, comme tous les après-midi vers 16h30, ôta son manteau, enleva ses chaussures et la gardienne, mademoiselle françois, une vieille fille acariâtre aux cheveux gris, commença une fois de plus à gronder la fillette:"Qu'est-ce que c'est encore que ces traces sur le carrelage? Tu as encore marché dans la boue! Je viens de faire le ménage! Quel manque d'éducation!"  
Angélique eut beau protester que c'était Lucie qui l'avait poussée, Mlle François la priva néanmoins de goûter et l'expédia dans sa chambre. Elle apprit donc sa leçon de géographie et sa poésie jusqu'à ce que ses parents reviennent. Après le repas, très fatiguée, elle monta se coucher et s'endormit rapidement.  
A peine réveillée, elle saisit le petit calepin blanc posé sur la table de chevet, souleva un petit coin de moquette entre son lit et l'angle de la pièce d'où elle tira une clé minuscule grâce à laquelle elle put ouvrir le cadenas. C'était son journal intime auquel, chaque jour elle confiait tous ses secrets.  
14octobre:"Cette nuit j'ai rêvé de ma gardienne, elle faisait une chute depuis le haut de l'escalier, elle ne bougeait plus. Qu'est-ce que j'étais contente! Je la déteste..."  
Quand Angélique rentra de l'école sa mère l'accueillit sur le pas de la porte en s'écriant:"Tu ne sais pas ce qui s'est passé! La pauvre Mlle François, elle est tombé dans les escaliers. On l'a retrouvée évanouie sur le carrelage. Le SAMU l'a emmenée à l'hôpital, elle va mieux maintenant, mais tu n'as pas de chance, tu ne la verras plus pendant des semaines."  
Angélique ne répondit pas, songeant au rêve de la nuit précédente, et se demandant par quel hasard la réalité l'avait de cette manière débarrassée de Mlle François. 
 
16octobre:"Mon cher journal, je suis très en colère car j'aime Victor mais lui préfère Lucie, une pimbêche, une peste et une petite garce. Je la déteste et je voudrais qu'elle disparaisse. Il faut que je me couche, je suis fatiguée. Salut.  
17octobre:"Cette nuit j'ai fait un rêve étrange. C'était une journée d'automne tout à fait ordinaire, morne et pluvieuse. Comme d'habitude je sortais de chez moi le cartable à main et je me dirigeais vers l'école.  
Lorsque je passai devant la grille de Madame DUBOIS, j'aperçus son idiot de chien dont les aboiements furieux me firent sursauter.  
J'arrivai dans la cour, Victor n'était pas auprès de Lucie et pour cause, elle n'était pas là! Elle devait sûrment être malade. Super! Je pourrais enfin me retrouver seule à seul avec Victor, l'amour de ma vie. La cloche retentit et je me rangeai avec lui. Nous somme entrés dans la classe et la maîtresse nous a demandé s'il y avait des absents. Tous dirent non, sauf moi qui criai presque de joie:"Lucie".  
Tous les regards se posèrent sur moi et je devins toute rouge. Un des élèves me dit:"Mais enfin Angélique de qui tu parles, il n'y a jamais eu de Lucie dans notre classe!"  
Je lui ai répondu qu'elle était encore là hier, et qu'il ne fallait pas me prendre pour une idiote. C'est alors que tous me répondirent en choeur: "Tu rêves ou tu te moques de nous! Ca va pas la tête, non?"C'est juste à ce moment que le réveil sonna.  
"Eh bien, mon cher journal, tu ne me croiras jamais, ce qui est arrivé est inimaginable, invraisemblable. Pourtant, j'en suis certaine, absolument certaine: tout s'est déroulé exactement comme dans mon rêve! Je me pinçais sans arrêt tellement cela paraissait impossible: elle a disparu, je suis même allée jusqu'à sa maison. Sur la boîte aux lettres, un autre nom était écrit et des enfants que je ne connaissais pas jouaient dans le jardin. Que s'est-il passé? Suis-je folle?"  
19octobre:"Cette nuit, j'ai fait un horrible cauchemar: pour une fois, mes parents venaient me chercher en voiture afin que nous rendions visite, à ma grand-mère. Et alors qu'ils roulaient sur la départementale, un chien traversa la route. Surpris, mon père voulut l'éviter mais il perdit le contrôle de sa voiture qui se retrouva dans le fossé.  
Puis je me réveillai en sursaut en me posant cette question:"est-ce que ce rêve allait encore se réaliser?".  
16h30, Angélique sortit de l'école et chercha ses parents des yeux, impatiente d'aller rendre visite à sa grand-mère. Elle attendit un peu, discutant avec ses camarades, puis elle se retrouva toute seule à 16h55.  
Elle allait et venait sans cesse, arpentant le trottoir, se retournant à chaque bruit de moteur. Cela commençait à devenir préoccupant, il était déjà 17h30 et ses parents n'arrivaient toujours pas. C'est alors que le directeur de l'école franchit le portail de la cour, s'approcha d'elle et la prenant par l'épaule, lui dit:"Ta grand-mère va venir te chercher, ne t'inquiète pas, elle sera bientôt là".  
A peine avait-il prononcé ces mots qu'une 2cv rouge déboula dans la rue et s'arrêta brusquement devant l'école. C'était sa grand-mère qui lui fit signe de monter dans la voiture.  
En s'installant sur le siège, Angélique demanda:"Et papa et maman, où sont-ils? Ils devraient être là depuis longtemps.  
Ne t'inquiète pas, mon petit poussin, tes parents ont eu un accident, ils sont à l'hôpital mais heuresement ils ne sont pas gravement blessés. Je vais te garder chez moi quelques jours."  
Angélique n’écoutait déjà plus depuis longtemps : elle avait compris que ses rêves se réalisaient.  
Juliette marche seule, tranquillement. Elle nous a laissés au carrefour près de l’église et continue son chemin pour rentrer chez elle. Il pleut. Elle avance dans un brouillard épais. Elle rabat sa capuche sur son visage très pâle, presque sans expression. Bruit de moteur. Une voiture noire qui s’arrête brusquement. La portière claque. Un homme est debout devant elle. Les yeux masqués par la visière de sa casquette. Elle le regarde fixement, sans réagir…  
23 octobre :‹‹ Je viens de me réveiller, j’ai fait un cauchemar horrible. J’ai la main qui tremble en écrivant ; j’ose à peine écrire ces lignes. J’ai peur, tout ce que j’ai rêvé ces derniers jours a fini par se réaliser. J’ai hâte de retrouver Juliette à l’école. "  
À 8 h 30 la cour était remplie d’écoliers bruyants et joyeux ; les uns jouaient aux Pokémons, d’autres au loup glacé, des filles jouaient à l’élastique ou à la corde à sauter. Angélique regardait dans tous les coins de la cour, interrogeait des camarades : ‹‹Vous n’avez pas vu Juliette ? Je ne la vois pas››. Elle dut aller se ranger, puis rentrer en classe avançant le plus lentement possible, espérant toujours que son amie arriverait. La maîtresse fit l’appel et s’étonna que les parents de Juliette n’aient pas téléphoné pour prévenir de son absence.  
" Je vais prévenir le directeur, en attendant commencez la lecture page 43, déclara-t-elle ", et elle sortit. Quand elle revint dans la classe, Angélique n’avait pas lu une ligne, le regard fixé sur sa montre, la gorge nouée, le cœur battant. Les minutes passèrent, interminables jusqu’à ce qu’on entende frapper à la porte. Angélique sursauta : Etait-ce Juliette ?  
Le directeur entra, l’air grave, et demanda à la maîtresse s’il pouvait lui parler un instant. Elle le rejoignit dans le couloir, laissant la porte entrouverte. Les élèves qui l’observaient depuis leur place la virent soudain pâlir, prendre sa tête entre ses mains et éclater en sanglots. Angélique avait tout compris.  
6 novembre : " Mon cher journal, à chaque fois que je fais un de ces horribles cauchemars, il se réalise et maintenant j’ai tout le temps peur pour ceux que j’aime. Il ne faut plus que je dorme, oui, c’est ça. Si je ne dors plus, je ne rêverai plus, et tout rentrera dans l’ordre, en tout cas je l’espère car je ne vois pas d’autre solution. "  
7 novembre : " Ca y est, cette nuit, je n’ai pas dormi. C’était très dur, mais j’y suis arrivée. Inutile de dire que je suis épuisée. Mes parents n’ont heureusement rien remarqué : tels que je les connais, ils ameuteraient tous les médecins du coin ; et puis c’est pour leur bien que je fais ça.  
12 novembre : " Voilà cinq nuits que je ne dors plus. Mes parents commencent à trouver que j’ai mauvaise mine et c’est vrai, quand je me regarde dans une glace je suis toute blanche et j’ai l’impression de voir un fantôme. Maman m’a dit qu’elle m’emmènerait voir le médecin demain. Que mes paupières sont lourdes, j’ai tellement sommeil. J’ai du mal à écrire, mon stylo aussi est lourd. Je ne dois pas dormir. Je ne dois pas dormir. J’ai peur des cauchemars… ".  
Aujourd’hui, il fait une étrange journée de brouillard. Des personnes habillées tout en noir sont assemblées autour d’une croix blanche, les mains jointes. Je vois Mlle François. Il y a aussi mes parents, et Mamie également. Mais je les connais tous ! Qu’ont-ils à pleurer comme ça ? Je cours vers eux. Je bouscule les gens mais personne ne me remarque, personne ne se retourne, ils ne me voient pas. A présent je distingue parfaitement cette croix blanche. J’en fais le tour et que vois-je ? Mon nom est inscrit en grosses Lettres rouges : ANGELIQUE. Au même moment une main s’abat sur mon épaule. Je me retourne et aperçois Juliette qui me sourit. Je me mets à hurler. Comme un écho un bruit strident déchire le silence…  
… Le téléphone sonne, encore et encore, quelqu’un va t-il répondre ? Je redresse la tête péniblement, aperçois mon journal ouvert sur le bureau. Horreur ! cette nuit, malgré tous mes efforts, j’ai dormi  

 

(c) Moulay Ali Joti - Créé à l'aide de Populus.
Modifié en dernier lieu le 26.01.2005
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